EXCLUSIF : L‘interview du bâtonnier de Lille.

Une interview de Florent Méreau, l’actuel bâtonnier du Barreau de Lille (2023-2024).


Florent Méreau est l’actuel bâtonnier du Barreau de Lille (2023-2024). Après plus d’un an à cette fonction, il revient pour La Voix d’Artelis sur son parcours et ses missions.


Pourriez revenir sur vos études et votre parcours en tant qu’avocat ? 

J’ai fait du droit à Lille avec une maitrise en 1994, un DEA contrat des affaires en 1995, j’ai également fait des TD en droit des sociétés à la fac. J’ai obtenu le concours en 1997 et suis diplômé du CAPA (certificat d’aptitude à la profession d’avocat) à l’IXAD de Lille en 1998.

De 1999 à 2003 inclus, j’ai été collaborateur d’un cabinet d’un avocat à Lille, plutôt en droit de l’entreprise juridictionnel (droit social, commercial, pénal des affaires). 

En 2004, je me suis installé avec une avocate qui s’appelait Dominique Sapin. C’était un cabinet plutôt généraliste où elle s’occupait du pénal et du droit de la famille. Dominique Sapin est tombée malade d’un cancer et est décédée en 2012.  

Nous avons racheté ses parts avec sa collaboratrice Aurélie Machez. Nous sommes deux avocats généralistes (droit de la famille, civil, pénal, immobilier, social) et allons finalement nous séparer au 1er septembre, mais nous avons passé 13 ans ensemble. 

La particularité de mon parcours, c’est que très vite je paye ma cotisation au Syndicat des Avocats de France (SAF), qui est un syndicat professionnel, plutôt  de gauche.  Ce syndicat défend le justiciable, les droits d’accès au droit, les libertés publiques et les libertés fondamentales, le respect de l’Etat de droit. Je vais être membre du conseil syndical à Paris. 

Je vais très vite faire un premier mandat au Conseil de l’Ordre (2004 ou 2006) avant de faire une pause et de revenir sous deux mandats consécutifs. Je vais ensuite être élu pendant 6 ans au Conseil national des barreaux (CNB) à la commission d’information et l’admission des avocats étrangers. Je retournerai Conseil de l’Ordre juste après, en étant trésorier de l’Ordre car je vais présider la CARPA (Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats) pendant deux ans. Enfin, je suis bâtonnier élu en 2022 et bâtonnier en 2023 et 2024.



Florent Méreau, Bâtonnier du Barreau de Lille  © Artelis/Hugo Scalabre



Vous avez travaillé dans un cabinet généraliste mais est-ce qu’à titre personnel vous êtes plus spécialisé ? 

Non, je suis généraliste. J’ai toujours fait du droit du travail, plutôt salarié mais aussi un peu employeur. Je fais aussi du civil, famille et du commerce ou de l’immobilier et de temps en temps du pénal. 

Moi ça me plait, on est l’avocat de ses clients, je n’ai jamais eu de clients qui m’ont permis d’avoir une spécialité.  

 

 

Pourriez-vous me dire quelles sont les principales missions d’un bâtonnier ? 

La mission numéro 1, c’est une mission de représentation auprès des juridictions du ressort (prudhommes, commerce, tribunal administratif, tribunal judiciaire, cour d’appel) dans les relations institutionnelles de fonctionnement de la justice. 

On va aussi aux rentrées des autres barreaux, j’ai fait beaucoup les rentrées des barreaux belges parce que j’ai voulu recréer des liens après le Covid : Mons, Tournai, Charleroi, Bruxelles, Liège, etc. C’est plutôt un rôle politique. 

Il y a un rôle purement interne qui est la relation des avocats entre eux et des avocats avec les justiciables. Le bâtonnier a une compétence juridictionnelle, un monopole de trancher les litiges entre avocats et clients sur les honoraires ou quand il y a un désaccord comme la restitution d’un dossier. Le bâtonnier rend une décision qui est susceptible d’appel devant la cour d’appel de Douai. 

Le bâtonnier est compétent pour tout ce qui concerne les relations entre avocats et notamment les litiges d’avocats, c’est une compétence exclusive. Je fais beaucoup de conciliation et de médiation. Je les reçois et s’ils continuent de ne pas être d’accord je rends une sentence arbitrale prévue par les textes qui est susceptible d’appel. 

Le bâtonnier gère toute la discipline et toute la déontologie. ll est juge des conflits d’intérêts, quand un juge d’instruction estime qu’un avocat ne peut pas intervenir, je donne un avis.  

Il doit assurer la gestion d’un ordre, j’ai un budget de 2 millions d’euros. Les 24 membres du Conseil de l’ordre sont élus pour 3 ans renouvelable par tiers. Moi je suis élu pour 2 ans et pendant 2 ans je préside le Conseil de l’ordre, j’établis l’ordre du jour. C’est le Conseil de l’ordre qui prend des décisions, rend des avis et peut modifier le règlement intérieur. 

 

D’un point de vue plus personnel, pourquoi avez-vous décidé de vous présenter pour être candidat au bâtonnat ?

C’est vraiment l’engagement syndical et professionnel pour la profession. Ce sont les engagements que j’ai eu à la caisse nationale des barreaux français, au CNB, au SAF, au Conseil de l’ordre. Je pense que j’ai un amour absolu pour les confrères, la profession et l’envie d’être l’avocat des avocats. 

C’est une charge mentale un peu lourde. Cette image que j’aime bien c’est être dans la machine à laver en programme essorage pendant deux ans. Mais après c’est passionnant parce que c’est l’adrénaline, je rencontre des gens intéressants. 

Il y a un rôle très important du bâtonnier, c’est de recevoir les confrères soit parce que je demande à les voir car il y a un quelque chose qui va pas et tenter de régler un litige, soit les recevoir en cas de difficulté. Je reçois beaucoup de confrères qui me font des confidences sur leur exercice, sur leur état de santé, sur leur situation familiale, etc. Voilà, je suis l’avocat des avocats, il y a un rôle un peu de confident.

 

Quels sont les principaux objectifs de votre mandat ? Qu’avez-vous déjà mis en place ?

J’ai travaillé sur l’amélioration de la communication parce que les confrères estimaient qu’au Conseil de l’ordre il se passe des choses et qu’ils sont pas au courant, que c’est de l’entre-soi. Et donc lutter contre ça, en faisant savoir sur les réseaux ce qu’on faisait. Mais également en ouvrant les conseils de l’ordre, comme les conseils municipaux aux avocats qui ne sont pas élus, symboliquement c’est important. 

J’ai voulu travailler sur deux thèmes complémentaires : les entreprises et les libertés

Pour les libertés, j’ai fait beaucoup de visites des lieux privatifs de liberté puisque la loi confiance Dupond-Moretti le permet au bâtonnier, comme pouvait le faire les élus. Par exemple ici à Lille, il y a eu récemment quelque chose sur les geôles du tribunal judiciaire avec des conditions dégueulasses. Mais c’est la banalité, à force de voir, on ne s’en rend plus compte. A Roubaix, on a aussi permis qu’il y ait des travaux. C’est très modeste et c’est un rôle dans un Etat de droit qui a son sens. C’est la petite pierre qu’on peut apporter pour rappeler qu’il y a des citoyens qui sont privés de liberté.

L’autre aspect qui est assez différent c’est de rappeler aux entreprises du Nord Pas-de-Calais et notamment de la métropole lilloise que ce n’est pas la peine d’aller à Paris pour trouver des avocats et donc faire savoir qu’il y a une compétence d’excellence, en tout cas d’un bon niveau. Il y a 1400 confrères. Ce n’est pas du tout mon domaine mais moi je suis très fier que dans mon Barreau il y ait environ 40% d’avocats juridiques, qui ne plaident pas. C’est important qu’ils soient reconnus en tant qu’avocats, qu’ils aient leur place et ça c’est plus compliqué. J’ai eu du mal à faire venir les avocats juridiques au Conseil de l’ordre mais on va y arriver. 

 

En tant que bâtonnier, continuez-vous votre activité d’avocat ? 

Oui, au début je faisais moitié-moitié, maintenant c’est plutôt deux tiers - un tiers. Il me reste encore 9 mois, je devrais avoir un successeur le 1er juillet avec les élections en juin. Il y aura 6 mois où il apprendra son métier et je lui apprendrai ce que je sais. - L’ordre m’indemnise mais si je ne suis plus avocat, je n’ai plus de dossier au 1er janvier 2025. Et puis c’est bien, on dit de moi que je suis un bâtonnier de proximité parce que même si je plaide beaucoup moins qu’avant, je plaide encore un peu. 
C’est bien, ça me permet en plus de ne pas être complètement déconnecté dans mon bureau, de ne pas être dans une tour d’ivoire. Je suis l’avocat des avocats pendant 2 ans mais je ne cesse pas d’être avocat. Je suis encore à beaucoup mon cabinet. 

 

Est-ce que vous arrivez à concilier ces deux activités ? 

Devant la télé de de 21h à 22h30, je traite mes mails. Mais après je fais des rencontres exceptionnelles. Par exemple, je ne suis pas un publiciste et j’étais très proche du président du tribunal administratif de Lille qui est parti à Nantes. En un an et demi, on a apprécié de travailler ensemble. Je trouve que c’est bien de nouer des liens politiques, des liens institutionnels. C’est l’image des avocats, c’est l’image de la profession. 

Et après il y a une frustration, c’est que je n’aurai pas pu faire tout ce que je voulais, c’est passé très vite. Il y a des quotidiens qui sont pas marrants, des coups durs, des urgences. C’est passionnant et moi ça m’a beaucoup apporté, beaucoup enrichi. Je n’ai aucun regret. Je serai très content quand ce sera terminé parce deux ans c’est un marathon donc il faut tenir mais c’est vraiment passionnant. 

 

Pour les mois qu’ils vous restent, qu’est-ce que vous aimeriez encore mettre en place ? 

Je continue tous les évènements comme des formations, on a le prix littéraire du Barreau de Lille en juin, une fête des avocats pour le nouveau bâtonnier, etc. On va faire des événements conviviaux qui soudent le Barreau. Mon plus grand événement, c’est la rentrée du Barreau de Lille qui aura lieu le 15 novembre 2024 et puis la transmission à mon successeur. 

De toute façon, à Lille, il est d’usage que le bâtonnier se représente au Conseil de l’Ordre donc normalement je ferai encore 3 ans pour aider le bâtonnier si le bâtonnier sortant peut modestement aider aux missions d’arbitrage de litiges ou d’avis déontologiques. Il y a le sens au Barreau de Lille, comme tous les barreaux, de la continuité.


TJ Lille © MAXPPP

Scalabre Hugo 25 mars 2024
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