Projet A69 : la justice annule l’autorisation environnementale, le chantier est arrêté

Le tribunal administratif de Toulouse a suspendu jeudi le vaste projet d’autoroute reliant la Ville rose à Castres. Une décision inédite pour un projet de cette ampleur en France, constituant un revers pour l’État, qui a interjeté appel.

Le contrôle de la “raison impérative d’intérêt public majeur” pour un projet de construction d’autoroute par le juge administratif. 

Le projet d’autoroute A69 reliant Castres à Toulouse, est un projet fortement contesté en raison de son impact environnemental. En effet, plusieurs manifestations ont eu lieu pour dénoncer ses conséquences grandement néfastes sur l’environnement, dans un contexte où la préservation de l’environnement devrait être au centre des décisions politiques. 

Le 27 février 2025, saisi par de nombreuses associations, le tribunal administratif de Toulouse rend un jugement essentiel d’un point de vue juridique, concernant l’application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Effectivement, ce jugement s’avère grandement important car celui-ci démontre que la juridiction administrative prend réellement en compte les enjeux environnementaux. Toutefois, cela est à relativiser car l’Etat a déjà fait appel de ce jugement suivi d’une demande de sursis à exécution.

Le 1er mars 2023, le préfet du Tarn prend un arrêté afin de déroger aux règles disposées dans l’article L. 411-1 du code de l’environnement. Effectivement, ces règles concernent, pour le cas d’espèce, la protection de la faune et la flore et, particulièrement, la préservation des espèces protégées. Cette dérogation est, sur la forme, légale, étant donné que l’article L. 411-2 du code de l’environnement prévoit l’exception au 4°: “ La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...)”. De surcroît, cet article au point 4° c) prévoit qu’il est possible de déroger à ces règles pour des “raisons impératives d’intérêt public majeur”

C’est donc ici que se trouve le nœud juridique de cette affaire, à savoir si l’arrêté prévoyant les dérogations aux règles environnementales se fonde effectivement sur des raisons impératives d’intérêt public majeur. Une notion alambiquée qui ne connaît pas de réels critères d’application et de définition. 

Les juges administratifs devront établir les motifs de l’arrêté et déterminer si ceux-ci corroborent avec les raisons impératives d’intérêt public majeur. Pour ce faire, les juges administratifs vont recourir à un contrôle comparable à celui du bilan coût avantage issu de la jurisprudence Ville Nouvelle Est de 1971 rendue par le Conseil d’Etat. Pour reprendre les termes de l’arrêt, il s’agirait davantage d’une mise en balance de cette RIIPM (raison impérative d'intérêt public majeur) avec les objectifs de protection de l’environnement: “(...) intérêt public majeur, c’est-à-dire d’un intérêt d'une importance telle qu'il puisse être mis en balance avec l'objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage (...)”

Le tribunal administratif doit donc établir si les raisons impératives d’intérêt public majeur sont remplies et ces raisons se constatent sur plusieurs motifs, d’ordre social, d’ordre économique, et de sécurité publique. Ces motifs sont légalement disposés au sein de l’article L.411-2 4° c) du code de l’environnement. 

S’agissant des motifs d’ordre social, le préfet invoque, au sein de son arrêté, une faible croissance démographique dans le bassin Castres-Mazamet. Le juge administratif va fixer, une exigence particulièrement forte pour reconnaître une raison impérative d’intérêt public majeur sur ce fondement, en effet, pour cela, il faut une “situation de décrochage du bassin”: “Ainsi, au regard de l’ensemble de ces éléments, le bassin de Castres-Mazamet ne saurait être qualifié sur le plan du dynamisme démographique, comme étant en situation de décrochage”. Cette exigence peut sembler élevée mais se justifie largement par rapport à l’ampleur du projet et son coût. Afin d’écarter la “situation de décrochage du bassin”, le juge administratif se livre à une comparaison du bassin d’espèce avec les bassins de proximité, déterminant que ce bassin ne présente pas de situation fortement différente par rapport aux autres, donc de décrochage. 

C’est avec cette notion de “situation de décrochage du bassin” qu’il est possible de retrouver un contrôle bilan coût avantage. En raison de l’impact fortement néfaste sur l’environnement, une telle exigence se justifie largement, un même projet n’ayant pas autant d’impact écologique aurait sans aucun doute été accepté sans cette exigence de situation de décrochage ou à une condition amoindrie. Le juge administratif adapte, en réalité, ses conditions d’octroi de la RIIPM par rapport au coût du projet, prenant ainsi réellement en compte les enjeux environnementaux dans son contrôle. 

S’agissant des motifs d’ordre économique, le préfet fait valoir le bas taux d’inscription au registre du commerce et des sociétés durant la période 2013 et 2023 au sein du bassin Castres-Mazamet. Les juges considèrent en revanche que ce taux ne peut, à lui seul, “être représentatif du dynamisme économique du territoire” arguant que ce bassin d’activité “est marqué par une forte proportion d’artisanat”. 

Dans ces considérants du juge administratif, ce qui semble intéressant est qu’il reconnaît que ce bassin peut justifier une recherche de “confortement”, mais il ne considère pas que la situation du bassin est notoirement défavorable au regard de celles des autres bassins situés autour de la métropole Toulousaine. Ainsi, plusieurs remarques. Ce projet semble apporter le “confortement” qui peut se justifier, mais l’envergure de ce projet, nécessite, selon le tribunal administratif, une situation notablement défavorable du bassin par rapport aux autres bassins. C’est pour cela qu’il considère qu’ “une telle liaison [A 69] ne constitue pas un facteur suffisant de développement économique”. Encore une fois, ceci peut marquer le recours au contrôle bilan coût avantage, ce projet aurait pu être validé par le juge administratif si celui-ci participait davantage au développement économique du pays et si le bassin était largement inférieur économiquement par rapport à ses voisins, quand bien même le projet aurait la même incidence sur l’environnement. 

Ce développement démontre une nouvelle fois, la prise en compte des questions environnementales, à une nouvelle échelle, du juge administratif. 

S’agissant des motifs de sécurité publique, le tribunal administratif reconnaît d’emblée qu’une autoroute présente moins de risques accidentogènes que la route actuelle pour rejoindre les deux villes. Toutefois, le juge administratif, considérant que la route actuelle ne présente qu’un caractère relativement accidentogène et qu’aucune pièce versée à l’instance ne permet d’établir que l’accidentalité sur cet itinéraire serait plus importante que sur d’autres routes comparables, détermine qu’il n’existe pas un besoin impérieux de sécuriser la voie existante, ce pourquoi l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur ne peut être établie. 

Le tribunal administratif considère que ces avantages, de motifs social, économique, de sécurité publique, tels que développés ci-dessus permettent de reconnaître ce projet d’utilité publique, mais ne permettent pas de caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). Les juges administratifs adoptent alors une conception stricte mais nécessaire de cette notion de RIIPM, ne voulant pas la même dégradation qu’à connu la condition d’octroie d’une déclaration d’utilité publique (DUP). Effectivement, la DUP exigeait une “nécessité publique” alors qu’aujourd’hui une simple utilité publique suffit pour exproprier. 

L’appel ayant déjà été fait par l’Etat, il faudra alors constater si ces conditions posées par le tribunal administratif, à savoir la situation de décrochage, une situation notablement défavorable du bassin et un besoin impérieux de sécuriser la voie existante ne sont pas trop stricte pour constituer une raison impérative d’intérêt public majeur. Une exigence plus souple des juges d’appel serait, pour autant, très étonnante en raison des exigences juridiques internationales qui pèsent sur la France en matière environnementale mais aussi en raison de ce terme de RIIPM qui nécessite une conception stricte. 

Toutefois, ce qui semble compromettant pour la décision d’appel est le fait que la loi LOM de 2019 qualifie ce projet de prioritaire et que l’arrêté du 31 mai 2024, de niveau infra-législatif, classe ce projet parmi ceux d’envergure nationale ou européenne présentant un intérêt public majeur. Ceci est compromettant car le Conseil d’Etat en 2021 qualifie une dérogation de RIIPM, notamment car le projet s’inscrit dans l’objectif fixé par une loi et par l’article L.100-4 du code de l’énergie. 

Il est essentiel de citer l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 29 janvier 2025 considérant que la construction de logements sociaux constitue une RIIPM. De surcroît, à travers cet arrêt il est possible de déduire que, en réalité, la RIIPM serait au final qu’un simple intérêt public.

Il est alors possible d’affirmer que le juge administratif prend en compte d’une manière particulièrement rigoureuse les enjeux environnementaux dans son contrôle de la qualification juridique de RIIPM, et donc que la RIIPM a été adaptée, par ce dernier, aux réalités environnementales. Toutefois, cette affirmation est à relativiser en raison de la procédure contentieuse qu’il reste à parcourir. De plus, cette affaire démontre la problématique de l’effet non suspensif en contentieux administratif, car ce projet étant illégal, les travaux ayant déjà commencé, un impact important sur l’environnement a donc eu lieu et des expropriations ont également eu lieu, ce qui démontre une réelle problématique dans ce principe dont il serait nécessaire d’adapter aux enjeux contemporains, a fortiori, aux enjeux climatiques. En outre, cet effet non suspensif était un argument pour le défendeur, en effet, certains, fervent de l’Etat de droit, estiment qu’en raison de l’avancement des travaux il faudrait perpétuer des illégalités. Ce point est mis en lumière par le ministre des transports lui-même, estimant la situation “ubuesque” en raison d’un “chantier avancé aux deux tiers (...) arrêté du jour au lendemain”. Il est essentiel de le rappeler, ce projet est contesté depuis 2018 et sa légalité a été régulièrement remise en doute. 


1 Article 17 de la DDHC

2 n° 430500.

3 n°489718 AJDA 2025.215.

4 45% des terrassements réalisés et 70% des ouvrages d’art construits.

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Brement Paul 4 mars 2025
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